

Transformer en calcaire le CO2 des cargos: le pari audacieux d'une startup britannique
Elles sont deux amies, tout juste trentenaires, à la tête d'une startup britannique qui entend capturer le carbone directement à bord des navires. Un projet audacieux face au réchauffement climatique, retenu pour le prix du "jeune inventeur de l'année".
Dans la cour d'un atelier du nord de Londres, le prototype conçu par Alisha Fredriksson et son amie d'université Roujia Wen, co-fondatrices de Seabound, a des airs d'usine miniature.
"Ici, nous simulons ce qui se passe sur un navire", explique Mme Fredriksson, 30 ans. Comme un moteur de bateau, un générateur "brûle du fioul qui sert de source de carbone".
Le gaz d'échappement est ensuite acheminé à travers un système complexe de tuyaux dans différents conteneurs.
L'air pollué est capté, le reliquat relâché dans l'atmosphère.
Le CO2 ne disparaît pas, explique-t-elle, mais il est capturé par des galets de chaux: des granulés blancs que l'entreprise perfectionne pour en maximiser l'efficacité.
La chaux est "facilement disponible" et "bon marché", relève Glexer Corrales, ingénieur chimiste, vêtu de sa blouse bleue marine dans le laboratoire où il teste la qualité.
- "Eponge à CO2" -
Ces granulés agissent "comme une éponge à CO2". Une fois absorbé, le carbone se transforme en calcaire par un processus chimique de carbonatation, explique le chimiste.
A échelle réelle, le dispositif de Seabound peut s'adapter à de nombreux types de navires avec un minimum de personnalisation. Rompue à la vulgarisation scientifique, Alisha Fredriksson connaît bien les énergies renouvelables, une passion transmise par son père ingénieur.
Jusqu'à présent, les technologies de capture du carbone --les CCUS selon l'acronyme anglais-- sont essentiellement utilisées à terre dans des industries lourdes comme les cimenteries, la sidérurgie ou la production de verre.
Mais en mer, les contraintes de sécurité sont beaucoup plus difficiles à respecter.
Et pour que le procédé soit réellement bénéfique, il faut "que le carbone capturé soit supérieur au carbone produit par l'énergie supplémentaire" liée à l'installation, explique à l'AFP Camille Bourgeon, administrateur à l'Organisation maritime internationale (OMI).
Un objectif largement atteint lors d'un premier test en 2023: selon l'entreprise Lomarlabs, qui a mené l'expérience à bord d'un de ses navires, le système de Seabound a permis de capter 78% du CO2. C'est là que la startup fait la différence.
- Revendre le carbone -
L'intérêt du secteur maritime pour ces technologies s'est renforcé avec l'introduction prochaine, par l'OMI, d'un système mondial de tarification du carbone. Le transport maritime représente à lui seul 3% des émissions mondiales.
Concrètement, à partir de 2028, au-delà d'un certain seuil, les navires devront s'acquitter d'une taxe de 380 dollars par tonne de CO2 excédentaire.
"Cela a créé un net avantage pour notre système", se félicite la dirigeante de Seabound, qui ambitionne de facturer à ses clients 150 dollars par tonne captée.
Mais de nombreuses questions se posent désormais pour l'OMI, à commencer par le devenir du calcaire généré.
Outre son enfouissement, une autre piste consiste à "revendre le carbone capturé à des entreprises qui créent des carburants à partir de CO2". Il suffit pour cela d'inverser le procédé, en relâchant le gaz par calcination.
Alisha Fredriksson connaît bien ce marché encore émergent: l'idée de Seabound lui est venue alors qu’elle travaillait pour une entreprise productrice de carburants à base de CO2, mais qui "peinait à trouver des vendeurs".
Remporter avec son amie le prix du jeune inventeur de l'année de l'Office européen des brevets (OEB) "serait un coup de pouce supplémentaire" et une reconnaissance de l'enjeu que représente la décarbonation du transport maritime, conclut-elle. Verdict mercredi.
H.Marquez--GM