

Pousser "l'afro-luxe" sur la scène mondiale: l'ambition de la Nigériane Reni Folawiyo
Avec son architecture moderne, un cube rouge et noir, Alára, premier concept-store de mode et de décoration de luxe d’Afrique de l'Ouest, saute aux yeux dans le paysage de Lagos, la mégapole nigériane. Fondé il y a dix ans par la Nigériane Reni Folawiyo, il s'est imposé comme un temple de "l'afro-luxe".
"Alára, c'est mon regard et ma vision de ce à quoi ressemble une célébration de l’Afrique", confie la femme d'affaires de 60 ans, lunettes de soleil aux verres roses sur le nez.
Le bâtiment, qui reproduit les motifs de l'adire, un tissu traditionnel nigérian, incarne ce "jeu entre tradition et modernité" qui lui est cher et la boutique propose des créations mêlant designers africains et grandes marques occidentales, objets de décoration et livres.
A l'intérieur, tout en sobriété chic, murs noirs et escalier en béton blanc, les créations s'affichent comme des oeuvres d'art, à des prix divers, mais hors de portée de l'immense majorité de la population nigériane, dont la moitié vit dans la pauvreté selon la Banque mondiale.
Une robe verte de la marque nigériane Eki Kere s'affiche à 325.000 nairas (211 dollars) et côtoie une robe multicolore de la designer Onalaja à 2,3 million de nairas (1.500 dollars).
Juste à côté, une poterie de la marque sud-africaine Sandile B Cele à 290.000 nairas est posée sur une table à 3 millions de nairas (2.000 dollars) du Salù Iwadi Studio sénégalo-nigérian.
Avocate de formation, épouse du millionnaire Tunde Folawiyo et fille d'un éminent juriste, Lateef Adegbite, Reni Folawiyo est devenue au cours de la dernière décennie une figure incontournable du monde de la mode et du design en Afrique.
Elle affirme avoir voulu créer un "outil", plus qu'une simple boutique, capable d’accroître la visibilité de l'afro-luxe au-delà de l'Afrique et de toucher un public plus large, après avoir "lutté" pour convaincre "ses partenaires de la pertinence de son projet", il y a plus de dix ans.
- Valoriser les créateurs et les savoirs-faire -
Son attrait pour la mode et le design puise ses racines dans sa culture yoruba, riche en tissus traditionnels, couleurs vives, bijoux symboliques et cérémonies fastueuses. Ses nombreux voyages à travers en Afrique l'ont également nourrie.
Le Sénégal l’a marquée par son "design brut", la Côte d’Ivoire par "la sophistication" de son artisanat, et le sud-ouest du Nigeria, où elle a grandi, par "son énergie créative".
"Beaucoup de belles choses que les personnes fabriquaient dans différentes régions d'Afrique n'étaient pas mises en valeur comme elles auraient dû l'être, selon moi", déplore-t-elle, ajoutant que leur richesse culturelle était souvent éclipsée par des objets venus d'autres continents.
Au Nigeria, l'une des premières économies d’Afrique, où une élite de riches acteurs du pétrole et du gaz cohabite avec l'extrême pauvreté d'une grande partie de la population, l'entrepreneuse défend un luxe puisant sa richesse dans les savoirs-faire artisanaux.
"Une grande partie de notre savoir-faire, de notre créativité et de notre héritage se trouve dans nos zones rurales", ajoute Reni Folawiyo.
Derrière la boutique, située sur Victoria Island, un des quartiers les plus cossus de Lagos, Reni Folawiyo a installé NOK, un restaurant africain contemporain, dont la carte a été pensée par le chef sénégalais Pierre Thiam.
- Dépasser les frontières -
Et rien ne fait plus plaisir à celle que certains designers de Lagos ont surnommé "l'audacieuse" que quand des créateurs africains se font connaître hors du continent, lors d'événement prestigieux, notamment grâce à certaines stars de la musique nigériane jouant le rôle d'ambassadeurs.
Lors du très select Met Gala à New York en mai dernier, les superstars de l'afrobeats Tems, Burna Boy et Ayra Starr étaient habillées par le créateur britannico-ghanéen Ozwald Boateng.
Mme Folawiyo a entamé des collaborations avec des partenaires hors du continent comme le musée de Brooklyn ou le musée d'art du comté de Los Angeles, aux Etats-Unis.
"Nous pensons qu'à l’heure actuelle, la meilleure façon de donner une visibilité aux designers en dehors de l'Afrique est de nouer des partenariats avec des institutions reconnues" et "repectées", explique-t-elle.
Reni Folawiyo organise aussi des défilés de mode à l'étranger, comme le CARIFESTA XV, à la Barbade, fin août.
Selon elle, l'avenir du luxe africain repose sur un équilibre entre "créativité", "structure solide" et "transmission des savoirs aux générations futures".
R.Romero--GM